18 févr. 2020, 17:10
Le Président du Conseil voulait mener une grande campagne et faire une tournée dans tout le pays pour permettre à ses électeurs de ne pas se sentir abandonné, où qu'ils soient et surtout pour annoncer la suite des événements. Il avait décidé pour ce discours de s'intéresser à la question la plus évidente : celle de l'avenir direct. Il avait adopté un ton calme et posé pour traiter de questions douloureuses.
Ivan Cappelen : Saphyriens, Saphyriennes, mes chers compatriotes,
Une foule se leva devant l'installation qui servait de pupitre au Chef du Gouvernement et des cris de joie retentirent probablement jusqu'à ce qu'on ne puisse pas y réchapper en toute rue de la ville.
Vous le savez tous, mon mandat n'a pas été épargné d'affaires extraordinaires et exceptionnelles et nous avons dû faire face à une crise institutionnelle d'une gravité extrême. Crise à laquelle mon Conseil a répondu très convenablement, dans un calme inespéré dans une situation de ce genre. J'en félicité chacun et chacune qui n'a pas cédé à la violence et qui a accepté de me faire confiance, chacune et chacun ont pu constater qu'ils ont eu raison de le faire, de laisser la situation être réglée par des gens compétents. L'exercice du pouvoir m'a fait voir, pour ma part, que nous avions une chose à réformer plus que nos lois archaïques pour certaines. Cette chose que nous devons réformer c'est notre démocratie. Nous avons constaté durant ce mandat qu'elle était faillible et qu'elle a mené à de nombreux problèmes. J'ai souvent eu le désagréable constat de la lenteur voire de l'obstruction que faisait le Sénat ou le Congrès aux projets du Conseil. J'ai pu souffrir du rôle trop important accordé à la noblesse d'Empire. Je crois qu'il faut remanier complètement notre système institutionnel et j'ai eu l'occasion de le dire, déjà à l'heure des révélations des rouages terribles et de la machinerie dont a fait l'objet notre nation. J'ai refusé à l'époque de changer de l'intérieur notre système parce que je n'en avais pas la légitimité en cela qu'on m'avait élu pour gouverner et non pour réformer le système et puisque les élections devaient arriver, je préférais m'y soumettre plutôt que convoquer un référendum. Aussi, pour le mandat à venir, je vous le dis tout net, j'agirais pour réformer notre pays dont les écrous sont rouillés et les mécanismes empoissés.
Cris de joie dans la foule.
Dans quel sens ira cette réforme ? Eh bien, nous n'irons pas dans le sens d'un renforcement du pouvoir de la noblesse, puisque celle-ci s'obtient par l'héritage et que la capacité à gouverner ne s'hérite pas comme un gène. Nous n'irons pas dans le sens d'un renforcement du pouvoir du chef de l'Etat ou du chef du Gouvernement puisque ceux-ci sont faillibles. Nous irons dans le sens d'un renforcement du rôle et des pouvoirs du Parlement qui doit s'affirmer comme un pouvoir actif, dynamique et puissant. C'est du Parlement que devra partir toutes les directives et les grandes orientations du pays. Le Sénat qui est la représentation directe de l'ensemble du peuple saphyrien devra se doter de nouveaux pouvoirs pour prendre pleinement possession de sa puissance. Nous ne voulons plus d'une chambre mitigée, à moitié impotente qui doit partager ses prérogatives avec les représentants indirects du peuple. La représentation ne peut être indirecte pour qu'elle soit correcte. Pour habiller le Sénat, il faudra déshabiller le Congrès. Car nous voulons une représentativité directe du peuple quand il s'agit de faire la loi, il n'est pas question d'avoir des représentants que vous n'avez élu ni d'Eve, ni d'Adam. Parce que les élus du Congrès sont des élus locaux et non nationaux. Si vous voulez un maire socialiste et un député radical parce que vous êtes d'accord avec un socialisme municipal et avec un radicalisme national, vous devez pouvoir faire entendre la diversité de vos voix. Chaque sensibilité doit être entendue. Le Congrès devra devenir un organe de conseil et non plus de prise de décision. C'est du moins ce que je porterais.
Examinons le système actuel pour vous en convaincre. Aujourd'hui qu'est-ce que le Congrès ? C'est un ensemble de délégués qui servent à nommer indifféremment maires, Ministre-Président et à mener la politique nationale et locale. On pourrait croire que c'est un fabuleux contre-poids démocratique des villes, des cités-libres et des principautés face à un pouvoir central. Mais qu'on ne nous la fasse pas, il ne s'agit ni plus ni moins d'un organe réactionnaire qui empêche la représentation directe du peuple d'agir comme elle le devrait. Je vous ai déjà dit à quel point le Congrès et le Sénat ont retardé l'action gouvernementale par des délais qui ne relèvent pas de la temporalité normale mais qui relèvent d'une obstruction volontaire ou d'un absentéisme total. J'ai malheureusement dû constater cette obstruction ou cette absentéisme à la fois chez mes proches collaborateurs écosocialistes en charge du Sénat, et chez mes adversaires de droite à qui nous avons laissé la Présidence du Congrès, à tort me semble t-il. De plus, sous le badigeon congressiste, il n'y a en réalité qu'un cumul mandataire discret. On voudrait dénoncer le cumul des mandats, mais être député du Congrès c'est tout à la fois être député municipal, député princier -ou député polidoréen- et député national. Comme si toute la politique du pays non-régalienne devait être menée par les conseillers municipaux des grandes villes. Parce que la taille de la ville joue, bien entendu. Si vous venez d'une petite ville, c'est-à-dire une autre que les trois principales de votre principauté, alors vous êtes relégué comme provincial et vos voix comptent moins, c'est un fait. Alors suivant comment on découpe les villes, selon comment on découpe les principautés, alors on change le résultat du scrutin, ce qui explique la proportionnalité des opinions n'est pas respectée, au Congrès.
Que faire pour répondre à cela ? Rendre le Congrès impotent au niveau national et distinguer les élus des villes et les élus des Principautés. On entend souvent se plaindre les gens que les élus ne font rien, qu'ils n'agissent pas assez, qu'ils ne maîtrisent pas convenablement leurs dossiers. D'après vous, si vous aviez à gérer les affaires et juridictions de votre ville qui compte des centaines de milliers d'habitants, de votre principauté qui en compte quelques millions et de tout le pays, si vous aviez à gérer tout cela dans le même temps, pourriez-vous le faire convenablement ? Je ne pense pas et pour avoir essayé, je vous le dis, il est impossible de mener convenablement le pays si on ne permet pas la distinction de ces prérogatives. Je ne connais aucune personne qui ne soit tout à fait compétentes pour diriger dans le même temps l'action d'une municipalité et d'une principauté, c'est d'ailleurs ce qui est demandé aux élus polidoréens. Cependant si vous y ajoutez l'action nationale, je crois que très peu de personne sont capables de le faire correctement et par mon expérience, je crois n'avoir rencontré encore personne qui puisse le faire convenablement. Alors je vous le dis, ou nous continuons à faire de la demi-mesure ou nous prenons pleinement notre destin en main, que nous plaçons dans des mains compétentes d'élus avec charges correctes. Prétendre qu'on peut tout faire avec un peu d'eau fraîche et une élection, ne sert que les intérêts des populistes et de l'opposition qui criera que la majorité n'a rien fait, qu'elle a oublié une municipalité, qu'elle n'a pas assez légiféré au niveau princier. Force est de constater que nulle majorité et que nulle opposition n'a pu convenablement gérer une seule ville ou une seule principauté depuis que notre Constitution a été promulguée et que le Congrès existe parce qu'il surcharge les élus de missions.
Ainsi dans le projet constitutionnel que je porte, il n'y aura plus de Congrès, il n'y aura qu'un Sénat qui soit l'expression pure et proportionnelle de la volonté du peuple, sans que soit découpé arbitrairement des morceaux de territoires qui changent fondamentalement la teneur de l'élection et les résultats des scrutins. Je veux que chacun puisse voter en son âme et conscience pour les élus qu'il souhaite aux échelles qu'il désire. Que ne survole plus au dessus des urnes congressistes locales, le spectre du Congrès fédéral. En somme, je demande à ce que les femmes et les hommes se lèvent tous ensemble désormais pour exhorter un changement constitutionnel profond qui écarte d'une part, le pouvoir héréditaire et en fasse définitivement un semblant de tradition que nous gardons, sans pouvoir, sans représentativité et sans importance et que d'autre part, le pouvoir électif soit épuré et balayé des rouages poissés qui empêchent nos élus de faire un travail concrètement au service de ceux qui les ont élu.
Que craignez-vous en refusant de telles modifications constitutionnelles et institutionnelles ? Que nous jetions la noblesse au cachot ? Que nous nous attribuons tous les pouvoirs ? Regardez la réalité en face et notre action ne peut que prouver et démontrer que nos méthodes ont toujours été celles de la paix civile, celle du calme et celle du dialogue. Beaucoup de gouvernements s'en veulent, après coup et disent "ah nous n'avons pas assez écouté le peuple ! Nous n'avons pas assez dialogué !" en faisant leurs vierges effarouchées, ils vous rediront la même chose à la fin du prochain mandat si vous élisez aujourd'hui. Nous, communistes, pouvons-nous nous autoflageller des mêmes torts ? Je ne crois pas. Chaque manifestant a été entendu, chaque personne qui avait son mot à dire a été écouté, chacun qui voulait dialoguer, a pu dialoguer. Le seul problème que ma majorité a connu, c'est que toutes les listes ont connu, c'est la rigidité des cadres que je viens de vous exposer. Alors n'hésitez plus, osez porter un projet nouveau pour un pays fonctionnel et plus encore dynamique qu'il n'a jamais été. Vous savez entre quelles mains vous laisserez ce projet se forger et vous savez leur habileté et leur douceur.
Pour un Etat démocratique, renouvelez la Constitution, offrez aux parlementaires, les cadres qui leur permettront de travailler sereinement et pleinement sans un cumul mandataire imposé que nul n'ose dénoncer. Il faut de tout évidence que la prochaine majorité soit l'artisane d'une nouvelle Constitution, au vu de la crise que nous avons connu. Alors faîtes le choix d'une majorité en qui vous avez confiance, qui vous fait confiance et qui vous a prouvé sa compétence dans la gestion des affaires de l'Etat, mais surtout choisissez selon l'idéal que vous voulez donner à notre pays pour les années à venir, pour vos enfants et pour la jeunesse. Un Etat qui ne pourra pas répondre aux demandes du monde moderne dont cent mille filent plus vite qu'il ne peut en traiter une dans le même temps, ou un Etat qui se soit donné les moyens de répondre à toutes les attentes arrivant, à toutes les échelles de gouvernance et capable d'anticiper et de regagner une véritable politique qui forge l'avenir et non qui en subit les conséquences en tentant d'y répondre avec un train de retard ?
J'ai, pour ma part, fait mon choix et c'est celui-ci que je porterais lors de la prochaine mandature, si vous m'en donnez les moyens, une nouvelle fois.
Mes chers compatriotes,
Vive le Saphyr ! Vive la démocratie !
Ivan se retira pour boire un peu et se détendre quelques minutes puis sortit de derrière la scène et alla saluer et parler avec le public. Enfin, il s'en alla au local du MRC de Wulfsburg pour discuter avec les camarades locaux.