Université des Sciences Sociales de Lunsburg
108, boulevard de la Bataille
05 août 168
- Discours de Ingrid Sovngard -
Le ciel était clair au-dessus du campus en ce 5 août 168. Et peu de vent venait gêner ceux rassemblés devant l'université. Combien de personnes il y avait là, Ingrid Sovngard n'aurait su le dire mais son chargé de campagne aurait peut-être estimé ce nombre à deux milliers, ou plus si sa fantaisie l'avait poussée. Des étudiants et des professeurs pour la plupart.
Une estrade montée pour l'occasion leur faisait face. La foule était cernée de haut-parleurs et de kakémonos de la CMD et à l'image de la candidate pour l'Orcadie.
Une longue expiration. Ingrid ouvrit les paupières et marcha vers l'estrade. L'un de ses conseillers lui tendit une copie du discours qu'elle écarta d'un geste las de la main. Elle connaissait sur le bout des lèvres ce papier qu'ils avaient pondu avec elle. "La machine", comme on l'avait appelée autrefois au lycée et à l'université. Une simple lecture et elle retenait tout ce qu'il y avait à savoir. Le reste, elle improvisait.
Trois marches. Deux. Plus qu'une. Deux pas vers le pupitre. Bien droite, les micros positionnés en vis-à-vis de sa bouche. Une ultime inspiration.
- Bonjour à toutes et à tous ! Je vous remercie en premier lieu d'être venus m'écouter et de m'accueillir parmi vous. Je suis Ingrid Sovngard. Aujourd'hui je me présente comme candidate à la mairie de Lunsburg et à la principauté d'Orcadie. Le point de départ de mon parcours politique il est ici avec vous. À l'Université des Sciences Sociales de Lunsburg, où j'ai eu le plaisir de rencontrer de brillants esprits. C'est là que pour moi tout a commencé. J'y ai trouvé mon mentor, celui qui m'a impulsé cette volonté d'engagement auprès de mes concitoyens. Et grâce à qui je vous rencontre tous, grâce à qui je veux vous servir tous !
Elle fermait le poing droit sur ces derniers mots. La main gauche calmement posée sur le pupitre.
- Avec mes compagnons de la Coalition des Mouvements Démocrates nous voulons une société citoyenne, une société de la liberté, où chacun est responsable de ses choix, de sa vie. Et la vie en société commence avec l'école, celle qui nous prépare pour cette vie.
Main gauche ouverte décollée de dix centimètres du pupitre, la paume vers le ciel. Main droite à peine plus basse, tournée aux trois-quarts sur la gauche.
- Je ne sais que trop bien les difficultés qu'on peut rencontrer au cours de son parcours scolaire et universitaire. J'ai moi aussi vécu la frustration de rencontrer ces obstacles qui se dressent sur ma route, qui me l'entravent parfois au point de ne pouvoir y accéder.
Main gauche sur la poitrine. Main droite fermée, avec le pouce appuyant sur la deuxième phalange de l'index.
- C'est pourquoi nous allons créer le chèque éducation afin de permettre à tous de faire le choix de sa propre éducation et de celle de ses enfants. Avec le chèque éducation c'est un premier pas vers l'éducation accessible à tous et où chacun décide de la sienne. Un pas vers le choix de son établissement scolaire, un pas vers le choix de sa formation. Un pas de plus vers la diversité des formations.
L'index droit tendu à moitié vers le haut, à moitié vers le public, avait ponctué chacune de ses phrases tel la baguette d'un chef d'orchestre.
- Aussi nous encouragerons toujours chacune des disciplines universitaire et favoriserons leur transversalité. Il est impensable de restreindre les choix d'études et d'établissement alors même que ces choix conditionnent notre futur, notre vie. L'État doit nous garantir ces alternatives. Et nous garantir une formation renouvelée à toutes nos étapes de vie !
Le poing gauche vint toucher fermement le pupitre.
- Il est crucial d'assurer une éducation saine et responsable ! Car c'est bien elle qui nous forme, qui nous arme vers l'avenir, et chacun et chacune doit pouvoir choisir ses outils pour affronter ses défis et pour s'assurer son propre épanouissement.
L'index à nouveau brandit pour marquer la mesure du ton.
- De même que je rends hommage à votre Université de Lunsburg pour m'avoir conduite là où j'en suis, je veux vous garantir d'être fier de la formation que vous aurez reçu. D'être fier d'avoir choisi et suivi votre voie, d'être devenu des citoyens de Saphyr. D'être fier de vous, et de votre capacité à régler les enjeux du présent et ceux à venir.
Les deux poings s'ouvrirent.
- L'école c'est le lieu de l'apprentissage, c'est le lieu où tout démarre ! C'est le lieu où tout est encore possible ! Et je veux que vous ! tous les étudiants, tous les élèves, tous les enfants, et toutes les générations futures puissiez prendre librement le chemin de votre choix !
La dextre balayait l'air vers la droite.
- Mais je ne vous demande pas de choisir pour votre seule liberté individuelle. Car nous vivons en communauté. C'est bien de faire société dont il s'agit ! Et une société libre, c'est aussi une société de la concertation, une société démocratique. Amener le débat démocratique auprès des citoyens ça passe par la création de conseils d'élèves dans les collèges et lycées. Pour qu'ils représentent les inquiétudes et soutiennent les projets des élèves. Ça passe par les conseils étudiants auxquels doivent être attribués les compétences de la vie étudiante, et que nous inciterons à la collaboration avec la mairie et tous les acteurs locaux de la cité, les bibliothèques, les espaces culturels, les autres écoles, les associations sportives, les entreprises. Et toujours dans un souci de développer un environnement d'étude propice à l'épanouissement, nous soutiendrons le corps enseignant, leur formation, pour assurer la transmission du savoir. Nous favoriserons l'émergence de forums interuniversitaire, de forums de rencontre avec des professionnels, de forums inter-générationnels. Une société de l'individu, ça passe par une politique de proximité ! Par l'écoute des besoins de nos concitoyens ! À tous les niveaux. Et par le dialogue entre tous les milieux.
Les mains désormais à plat sur le pupitre elle poursuivit.
- Le cœur de notre ville, de notre pays ! doit battre au rythme de nos discussions ! Au rythme de nos échanges ! Tout ça pour quoi ? Pour s'ouvrir toutes les portes ! Pour s'assurer une société où chacun est responsable de soi ! Pour une société où chacun en a les moyens ! Voter CMD, c'est faire le choix de choisir !
En finissant sa phrase Ingrid ouvrit ses mains en signe d'accueil. Aussitôt l'air fut empli des applaudissements du public et de leurs cris. Ingrid demeura devant eux encore un moment, souriante et saluant de la main.
Quand elle quitta finalement la scène elle fut assaillie de ses collègues :
- T'as bien géré Ingrid !
- Ouais t'as mis le feu !
Elle ne prêta guère attention à leurs paroles sans grand intérêt. Elle n'avait pas prêté réellement attention au public, elle s'était produite comme un acteur. Elle ne savait pas l'effet qu'avait produit son discours, ce n'était pas son travail, elle aurait droit à un rapport plus tard. Quand enfin ce fut au tour de son bien-aimé de commenter sa prestation, Ingrid lui décocha à peine un regard.
Il lui faudrait encore quelques minutes pour ressortir de son personnage politique.
La machine.